ALFRED JARRY L’UNIQUE

Le héros des Jours et les nuits (1897), le soldat Sengle, compense les médiocrités de la vie militaire par ses rêves nocturnes et l’amour unique qu’il porte à « son frère Valens » : il brise ainsi toutes les barrières entre le réel et l’imaginaire. L’Amour absolu (1899) est une méditation complexe et obscure, où Emmanuel Dieu, à la fois homme et Dieu, fils, amant et époux d’une Marie aussi diverse que lui, éprouve toutes les formes de l’amour. Mais faute de cet « amour absolu », Jarry prend comme thème les débauches de la Rome impériale dans Messaline (1901), les exploits d’un homme qui considère l’amour comme un acte sans importance qu’on peut répéter indéfiniment dans le Surmâle (1902). Il laissera un autre roman inachevé, la Dragonne.

Son ouvrage le plus caractéristique reste Gestes et opinions du docteur Faustroll, pataphysicien, achevé en 1898, publié seulement en 1911. La partie centrale est composée d’une navigation fantastique « de Paris à Paris par la mer » qui conduit Faustroll dans des lieux imaginaires représentant les grandes œuvres du symbolisme littéraire et artistique. Elle s’insère dans une analyse de la pataphysique, la « science de ce qui se surajoute à la métaphysique », que professe le docteur : « La pataphysique est la science des solutions imaginaires, qui accorde symboliquement aux linéaments les propriétés des objets décrits par leur virtualité. »

L’insertion de l’imaginaire dans le réel prend ici l’aspect d’une conception du monde et non plus d’une révélation de l’insolite. En cela, Jarry est un de ceux qui ont le plus contribué à l’élaboration d’un certain climat du xx* siècle. Il l’a fait aussi par la liberté avec laquelle il compose un ouvrage, voulant, comme il le dit dès 1894 au début des Minutes de sable mémorial, « suggérer au lieu de dire, faire dans la route des phrases un carrefour de tous les mots ».