VILLIERS DE L’ISLE-ADAM 1838-1889

Ce dernier était lié dès l’âge de vingt ans à Baudelaire, à Leconte de Liste et à de nombreux écrivains et artistes de l’époque. Il avait commencé par des poèmes (Deux Essais de poésie, 1858 ; Premières Poésies, 1859) et des contes philosophiques (Isis, 1862). Le théâtre ne cessa de l’attirer : il publia en 1866, à vingt-cinq exemplaires, un drame en cinq actes et en prose, Morgane ; d’autres œuvres suivirent, mais il fallut attendre la révélation posthume d’Axel, en 1890, pour qu’il soit reconnu comme le grand dramaturge du symbolisme.

C’est en 1883 que parurent les Contes cruels, qui avaient déjà, pour la plupart, été donnés dans des journaux et des revues. Si Villiers a subi l’influence des romantiques allemands et d’Edgar Poe, il ne les imite cependant pas. Ses contes évoquent un monde étrange et inquiétant, souvent morbide, où le rêve, le surnaturel interviennent constamment dans la vie courante. Véra n’est plus de ce monde, mais elle vit dans le souvenir de son amant et ne sera réellement morte que lorsqu’il l’aura vue ainsi en rêve. L’Intersigne est plein de présages qui annoncent la mort dans une atmosphère de cauchemar. L’Inconnue, isolée dans sa surdité, n’entend que la voix de l’âme. Le Convive des dernières fêtes est un grand seigneur qui prend la place du bourreau dans les exécutions capitales. Un humour sarcastique s’y mêle. La Machine à gloire assure le succès des auteurs dramatiques ; l’Affichage céleste utilise les nuages pour la publicité... Les Nouveaux Contes cruels (1888) accentuent ces tendances, qu’il s’agisse de l’Amour sublime — où, plus encore que dans Véra, l’amour triomphe de la mort — ou de la Torture par l’espérance, torture qui consiste à laisser croire à un juif prisonnier de l’Inquisition qu’il pourra s’évader, pour le reprendre sur le seuil même de la prison. La même année, les Histoires insolites proposent des thèmes analogues.

En 1887, Villiers réunit dans Tribulat Bonhomet une suite de récits qui met en scène un bourgeois borné, positiviste, ennemi du mystère et de la beauté, « archétype de son siècle » ridicule et odieux. Le premier de ces récits, écrit en 1867, Claire Lenoir, est le plus intéressant : il oppose à l’étroitesse de l’analyse scientifique la réalité de forces spirituelles insoupçonnées. Mais s’il dénonce les illusions de la science et la vanité du bon sens, Villiers se préoccupe cependant des progrès techniques et des transformations qu’ils apportent dans la vie humaine. Dans l’Eve future (1886), il montre un Edison démiurge dans son laboratoire fantastique, entouré d’inventions alors nouvelles ou extraordinaires ; il lui fait construire une femme idéale par sa beauté et son esprit, merveilleux et parfait automate. Mais Edison explique aussi à son jeune ami, pour qui a été créé cet être fantastique, qu’il est, plus que l’œuvre de la science, celle de son propre rêve et de son idéal.

Ami de Mallarmé, de Verlaine, de Huysmans, répandu dans les cercles symbolistes, qu’il éblouit par l’éclat de sa conversation, Villiers de L’Isle-Adam a exercé une influence considérable sur la littérature. Ce grand seigneur des lettres (il ne l’était par le sang que dans son imagination) vivait dans la haine du monde contemporain, matérialiste et borné. Il n’a cessé de dénoncer la bêtise de la foule et l’inanité des mythes du XIXe siècle, la Science, le Progrès, la Démocratie. C’est au secret de l’inflni et de l’idéal qu’il demande un sens à la vie. Le surnaturel du catholicisme, l’idéalisme d’un hégélianisme trop rapidement assimilé, les chemins obscurs de l’occultisme composent le spiritualisme de cet « exorciste du réel », « portier de l’idéal », qui fut l’initiateur de plus d’un symboliste français. Sa mort n’interrompt pas le rayonnement d’une oeuvre que viennent compléter, dans les années suivantes, plusieurs publications posthumes.

LES SYMBOLISTES ET LE ROMAN

Le roman n’a guère tenté les symbolistes. La critique leur apportait cependant des perspectives nouvelles qui pouvaient les séduire. Eugène Melchior de Vogué, qui avait abandonné la diplomatie pour la littérature, publia en 1888 une étude sur le Roman russe qui eut un grand retentissement et contribua à renforcer la tendance idéaliste. Teodor de Wyzewa, étroitement mêlé au mouvement symboliste, fit, plus que tout autre, connaître à la France les littératures étrangères, et particulièrement ces « littératures du Nord » que l’on découvrait alors.

Mais Paul Adam (1862-1920), après le Thé chez Miranda, nouvelles écrites en collaboration avec Moréas, s’est tourné vers le naturalisme avec Chair molle, puis en est venu à une œuvre qu’il définissait comme « un dogme dans un symbole » : romans qui allient à la peinture des mœurs modernes ou à l’évocation de la vie impériale un lyrisme nourri du goût de la grandeur et de l’énergie (le Trust, 1910). Et lorsque Henri de Régnier vient au roman aux environs de 1900, c’est avec des études élégantes de mœurs modernes (le Mariage de minuit ; les Vacances d’un jeune homme sage,

1903) ou des récits où revit le raffinement du xvme siècle (la Double Maltresse, 1900 ; les Rencontres de M. de Bréot,

1904). On retiendra cependant la tentative d’Édouard Dujardin (1861-1949), qui, dans Les lauriers sont coupés (1887), cherche à appliquer à la technique romanesque les procédés de composition de Wagner et, ce faisant, invente le monologue intérieur. On fera aussi une place à la Sixtine (1890) de Remy de Gourmont, illustration des grands thèmes de l’idéalisme, et à l’original et discret talent de Marcel Schwob.

Dans l’atmosphère de la décadence plus que du symbolisme, Joséphin Péladan (1858-1918) consacre les dix-neuf volumes de son « éthopée » la Décadence latine (1886-1907) à dénoncer le déclin auquel le matérialisme conduit la race latine : spiritualisme ésotérique (Péladan restaura, en 1888, l’ordre des Rose-Croix) et érotisme y composent un étrange mélange, dans un climat esthétique où domine le wagnérisme. Jean Lorrain (1855-1906) n’a pas ces ambitions ; mais il a fixé dans ses romans, souvent inspirés de l’actualité la plus immédiate, le paysage mental de la sensibilité décadente (Monsieur de Phocas, 1899).